Écrit par : Philippi Jean-Christophe | 22.04.2008
« Je regarde attentivement et régulièrement les oeuvres de Jerzy
Ruszczynski.Elles ont un pouvoir de fascination hors du commun et elles
échappent aux catégories habituelles de l'art.Art Brut,
Singulier...Surréalisme singulier...? Que sais-je encore? N'appliquons
pas trop vite des étiquettes; cette oeuvre s'impose surtout par
l'extraordinaire originalité de son imaginaire, comme toute oeuvre d'art
sans doute.Au fond toute oeuvre est singulière par essence, car tout
vrai artiste développe la puissance de sa vie dans sa propre temporalité
et sa propre vérité.
L'art ne s'adresse pas d'abord au regard, mais à l'esprit ; disons aussi
que tous les sens sont sollicités dans l'effort de l'imagination: les
tableaux de Jerzy montrent que l'être est en "connexion" avec tout ce
qui l'entoure, ou plutôt que c'est parce qu'il fait apparaitre le monde
devant lui que l'être existe, qu'il est "au monde". C'est cette
expérience d'être au monde, qui se développe dans les peintures de
Jerzy.Mais que signifie être "au monde"? Paradoxalement cela signifie
d'abord imaginer, transposer en images les expériences sensibles que
nous faisons quand nous écoutons, caressons, aimons, rencontrons,
parcourons...des temporalités multiples et apparemment contradictoires
se rencontrent soudain sur le même plan du tableau, semblent contredire
les conceptions traditionnelles de la réalité.Ainsi le haut et le bas
peuvent s'échanger, la droite et la gauche, le vertical et l'horizontal
de même, comme dans un rêve.Cette désorientation n'en est pas une, elle
est le mouvement complexe de la perception et de la pensée en
perpétuelle rotation.Le peintre tourne et retourne sa feuille, ne se
satisfaisant pas de la page des abscisses et des ordonnées de la
géométrie, et visionne sur ce cadran spirituel les facettes multiples
des émotions et des souvenirs. La pensée est une pâte qui a ses
frottements, ses impulsions, ses gonflements,ses moules, ses
distorsions, ses malaxages, ses coupures et ses superpositions. C'est
tout cet exercice spirituel qui se déploie dans les peintures de Jerzy
et qui montrent l'existence humaine dans sont trouble et sa magie.Les
images fonctionnent comme un langage fait de signes et de transcriptions
non limités au sens.Ainsi que sur une partition musicale, les signes
s'échelonnent sur la page et construisent des constellations et des
archipels de mémoire. A nous de trouver le bon saut pour aller d'une île
à l'autre, d'une portée à l'autre.Comme dans certaines oeuvres d'Art
Brut, les oeuvres de Jerzy ne connaissent pas de frontières entre le
graphique et le pictural, entre l'écrit et l'image.Ces deux dimentions
se chevauchent et se complètent, s'emploient comme des formes
d'intensité et de concentration.Certains mots sont comme des
"intensifs", ils deviennent des couleurs.A l'inverse, certaines couleurs
sont utilisées comme des signes ou des mots, elles sont nominalisées.
S'il fallait faire une comparaison entre l'oeuvre de Jerzy et celle d'un
autre artiste, c'est Marcel Ducamp qui s'imposerait.Pourquoi ?Parce que
pour JerzyRuszczynsky comme pour Marcel Duchamp avant lui, le problème
principal de l'art est:"comment quelque chose apparaît".La minutie
employée par Jerzy dans la réalisation de ses oeuvres, sa façon de
procéder par" notes" et exemplifications ne peut que nous convaincre de
l'affinité extraordinaire qui existe entre ces deux oeuvres.On le voit,
les catégories artistiques que l'on croit bien assurées sont plus
complexes et riches qu'il n'y paraît, et il y a des ponts étonnants
entre des oeuvres qui apparaissent au premier abord fort éloignées. »
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